(blodwyn&baymax) perte de "mémoire"

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     La dernière fois que Toma l'avait vu, c'était sur la table de la salle commune, il en était persuadé. Ça ne pouvait être ailleurs, il n'avait pas beaucoup voyagé dans le manoir ce jour-là et, comme bien souvent, il était allé s’installer pour écrire après avoir croisé le chemin d'un résidant qui avait utilisé une expression dont il ignorait le sens : envoyer sur les roses. Malheureusement pour lui, son précieux carnet n'était pas là où il pensait le trouver. L’infirmier devait s'avouer vaincu. Vaincu par cette mémoire, humaine et si peu performante qu'il avait l'impression d'oublier un détail de plus à chaque seconde. Les données informatiques étaient bien plus efficaces. La preuve en était toutes les informations dont il se rappelait, qui lui permettaient désormais d'exercer en tant qu'infirmier. Dommage que sa chance s'arrête là, qu’il ne puisse plus emmagasiner aussi facilement. Incapable de mieux, la paume appuyée contre la table, le jeune homme regardait l’espace vide, les sourcils froncés ; il nourrissait encore l’espoir de voir réapparaître son carnet, comme par magie. Mais ça n’arriverait pas.

Ce carnet si important, c’était son journal intime. Un compte-rendu détaillé de tout ce qu’il pensait, vivait et ressentait au cours d’une journée, avec quelques notes supplémentaires, comme des expressions et des réactions qu’il ne comprenait pas. Il y avait une entrée pour chaque jour, plusieurs fois par jour, et il essayait de ne rien omettre, de peur d’être trahi par sa mémoire humaine. Alors pourquoi avait-il fallu qu’il perde un objet aussi précieux ? Rares étaient les occasions où il s’était retrouvé, sans aucune intervention extérieure, dans un tel état de nervosité. Il était frustré par cette mémoire idiote. Par sa propre incapacité. Par cette humanité contre laquelle il ne pouvait rien faire.

Au bout d’un moment, il ferma les yeux et poussa un soupir, résigné. S’énerver n’était pas la solution. Il n’avait sûrement pas cherché partout ou, du moins, pas assez bien, et ce n’était pas en s’agitant comme un fou qu’il parviendrait à retrouver son journal. Il lui fallait procéder autrement. Retracer le trajet de la journée semblait être une bonne idée. Pourtant, une autre se profila dans son esprit quand il aperçut une personne dans la pièce. C’était sa chance, il ne devait pas la manquer. Alors, esquissant un sourire peu assuré, il s’adressa à la jeune femme qui se trouvait là avec lui : — Excusez-moi ? Vous n’auriez pas vu un livre sur cette table ?

Dire qu’il était dans ce bâtiment depuis un an. Un an qu’il essayait, encore et toujours, de comprendre comment fonctionnaient les autres, ce qu’ils pensaient. Même comme ça, il était toujours incapable de gérer une situation aussi simple qu’une conversation entre colocataires. C’était au-delà du ridicule.

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     Repasser en mémoire les différents endroits où il s'était rendu ne l'aidaient en rien, Toma le réalisa rapidement. Il aurait donné n'importe quoi pour qu'une personne, même un parfait inconnu, fasse son entrée dans la pièce et lui tende le carnet. Hélas, les choses n'étaient pas aussi simple. Dans le monde réel, celui où il avait atterri d'une façon qu'il ne parvenait pas encore à expliquer, il fallait chercher ce qu'on avait perdu de ses propres moyens, sans user de fonctions informatiques complexes, de booléens ou d'autres éléments qui faisaient des robots des êtres profondément logiques et rapide. Les automatisations devenaient des automatismes. Automatismes qu'il fallait développer, travailler. Noter son chemin ne devait surtout pas en devenir un. Demander de l'aide, par contre, était une mauvaise habitude dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Seul, il ne s'en sortait pas vraiment. Le monde semblait bien trop compliqué, trop peu logique.

Perdu dans ses pensées, Baymax sentait la frustration monter. Existait-il un bac aux objets perdus dans ce manoir ? Avait-il vraiment égaré son carnet ou ce dernier était-il simplement rangé à un endroit où il n'avait pas encore cherché ? La nouvelle arrivante lui permit de répondre en partie à cette question, ce qui arracha au robot un discret soupir de déception. Pas vraiment, disait-elle. Il allait donc devoir se reposer sur la mémoire défaillante dont il avait hérité. Ou attendre ? Certains croyaient que les objets perdus, lorsqu'on ne les cherche plus, réapparaissaient soudainement. Précisément le genre de bobards qu'il refusait d'avaler. Ce n'étaient que des excuses que les humains inventaient afin de se rassurer, de se dire qu'ils n'étaient pas aussi aveugles qu'ils l'avaient prouvé en cherchant à côté de la piste pendant si longtemps.

— M'aider ? La reprit-il, hésitant. Je… C’est gentil de proposer. La dernière fois que je l’ai vu, il était sur cette table…  

Ses yeux se posèrent à l’endroit où se trouvait autrefois le disparu, puis poussa un léger soupir. — Le problème, c’est que je ne me rappelle pas exactement de ce que j’ai fait depuis… Vous m’aidez à chercher ici ?

Commencer par cette pièce était le plus évident. S’ils ne trouvaient rien, ils aviseraient.

— C’est un carnet assez petit, avec des caractères asiatiques sur la couverture.

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     L’inquiétude l’empêchait de penser correctement. Toutes ses idées se concentraient autour de la possibilité de ne jamais retrouver son précieux carnet. Qu’adviendrait-il alors de toutes les notes qu’il avait prises, des informations si importantes qu’il avait indiquées sur les pages de son journal ? Il ne pourrait s’en servir afin d’éclaircir ses idées, afin de comprendre les propos de ceux qui l’entouraient et qui, par moments, étaient plus compliquées à comprendre qu’une fonction informatique. Toma avait besoin de se rattacher à ce genre d’objets : ils étaient concrets, réels et, de façon plus générale, ils ne changeaient pas sans raison.
Et maintenant, il l’avait égaré. Quel idiot il faisait.

C’était peut-être ce que cette fille pensait, en le voyant tourner en rond sans but ? Il avait des difficultés à comprendre ce qu’imaginaient les autres et se laissait trop souvent parasiter par ses propres pensées. Robot, il ne possédait pas de la capacité de lire l’esprit des autres, cela ne lui avait jamais manqué. Était-il humain de façonner des théories infondées ? Qu’importe la réponse, Baymax trouvait cela profondément désagréable et déstabilisant. La majorité des choses qu’il ressentait depuis qu’il était un Homme l’étaient, de toute façon ; cela ne l’aidait en rien à s’habituer à ce nouveau statut.

Le regard de l’infirmier se posa sur le paquet de gâteaux de la jeune femme. Drôle d’heure pour manger, songea-t-il un instant, sans rien en dire. Certaines attitudes l’interpelaient encore aujourd’hui, après un an qu’il avait passé parmi les humains. Dans ce manoir, il ignorait même qui l’était déjà avant. Comment aurait-il pu, après tout ? La question de la jeune femme, alors qu’il déplaçait pour la énième fois un paquet de documents qu’on avait laissé traîner sur la table, lui fait relever les yeux et marquer un bref silence.

— Un carnet ? répondit-il en réalisant qu’il n’avait pas été clair. C’est un carnet. Désolé, je suis un peu troublé…

Était-ce le mot à utiliser ? Mettre des mots sur les émotions qu’il ressentait était encore difficile, il ne sortait pas assez et ses conversations avec les autres se résumaient généralement à ce qui était utile. Un défaut qu’il aurait dû corriger depuis longtemps.

— Vous ne savez pas s’il y a un endroit pour les objets perdus, ici ?

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     Beaucoup de choses déstabilisaient l’infirmier depuis son arrivée à Fantasy Hill. Les propos de certains, dont le sens et la logique lui échappaient, le comportement d’autres, car il était parfois difficile pour lui de comprendre les raisons pour lesquelles les hommes et femmes qui l’entouraient agissaient comme ils le faisaient. Rien ne l’aidait à se sentir parfaitement à sa place dans ce manoir, même s’il faisait de gros efforts afin de s’adapter à la nouvelle vie qui s’offrait à lui. Les conversations et les événements restaient difficiles à suivre et à assimiler. C’était une chance pour lui d’avoir quelques personnes sur lesquelles il pouvait compter, comme Sid, son colocataire.

Reste que ce jour-là, il ne pouvait compter que sur lui-même et sur l’aide de la fille aux cheveux roses qu’il venait de rencontrer. Elle devait vivre là, elle aussi, dans ce grand manoir qui les abritait tous. Dans d’autres circonstances, sans doute lui aurait-il demandé d’où elle venait, si elle avait dû, elle aussi, s’habituer à une existence totalement différente de celle qu’elle avait auparavant. Son carnet importait plus que le reste, plus que l’existence même de l’immense bâtisse dans lequel ils vivaient. Il lui permettait de prendre note de tout ce qu’il se passait, des moments importants de cette existence nouvelle. Pourtant, au fond de lui, il ne pouvait s’empêcher de penser que ce n’étaient là rien de plus que quelques morceaux de papier. Des objets comme tant d’autres, comme l’étaient autrefois son processeur et les différents circuits qui le composaient. Il n’était plus cet amas de composants électroniques.
Maintenant, il pouvait disparaître en un battement de cœur.

Cette peur nouvelle, qui avait vu le jour lorsqu’il s’était éveillé en tant qu’Homme, l’empêchait de vivre pleinement. Il se retenait beaucoup, réfléchissait plus encore, et n’agissait qu’au moment où c’était strictement nécessaire. C’était comme si chaque décision, chaque question avait son importance. Ses sourcils se froncèrent d’ailleurs lorsqu’il entendit la réponse de la jeune femme. — Ah bon ? Pourquoi ne serait-ce plus nécessaire, alors qu’il n’avait pas encore retrouvé son bien ? Il l’écouta avec attention alors qu’elle reprenait. — Vraiment ? C’est peut-être lui dans ce cas ? Un sourire plein d’espoir éclairait désormais son visage, alors qu’il la suivait à travers la pièce.

Une question fit cependant irruption dans son esprit, quand la fin de la phrase de la jeune femme lui revint à l’esprit. — Mais… que voulez-vous dire par « jouer plus longtemps » ? Le ton hésitant, il se pencha en espérant apercevoir le visage de celle qu’il accompagnait. Vous ne l’avez pas ouvert, au moins ? La pensée que quelqu’un puisse avoir lu ce qu’il écrivait, tout innocent que ce pouvait être, lui noua instantanément le ventre. Ce carnet était une preuve supplémentaire de sa différence, de ce qu’il pouvait ressentir sans le comprendre. Il n’aimait pas l’idée qu’une parfaite inconnue puisse entrer dans sa tête en lisant son journal.

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     Déconcerté par les réactions de son interlocutrice, Baymax resta silencieux durant quelques secondes, suivant la jeune femme qui s’engageait désormais dans les couloirs du manoir, jusqu’à ce qu’elle reprenne la parole. — Amusant ? Ses sourcils se froncèrent. Il avait déjà ressenti l’amusement, un sentiment agréable, quelque chose qui rendait heureux. Ce qu’il avait connu en cherchant son carnet n’y ressemblait pas beaucoup. — Vous trouvez ça amusant, de chercher ? C’était une nouvelle énigme pour lui, une nouvelle chose incompréhensible. Il glissa une main dans ses cheveux pour dégager son front, essayant une fois encore de comprendre ce qui pouvait être drôle dans la fait de chercher, puis il abandonna, estimant qu’il devait s’agir d’une chose purement humaine. — Si vous le dites… Lui, il ne trouvait pas ça très drôle.

Ce qu’il trouva encore moins drôle, ce fut qu’elle lui réponde par l’affirmative. Elle l’avait ouvert ? Les yeux sombres de l’ancien robot se firent plus grands qu’ils ne l’étaient et il pinça les lèvres durant quelques secondes avant de répondre : — Je… j’aurais espéré que non. Son regard se perdit sur les murs aux côtés desquels ils passaient, alors qu’il essayait d’oublier la honte qu’il éprouvait à l’idée que ses pensées les plus profondes aient pu être ainsi révélées à quelqu’un. — J’espère que vous ne me trouvez pas trop bizarre, alors.

Sans savoir ce qu’elle avait pu lire, il ne pouvait qu’espérer qu’elle ne le prendrait pas pour le dernier des idiots. Son estomac se tordit douloureusement à cette pensée. Ce sentiment était tout simplement horrible. En tant que robot, le regard des autres n’importait pas autant qu’aujourd’hui ; il se moquait de la validation, remplir la tâche pour laquelle on l’avait programmé était amplement suffisant. Pourquoi cela avait-il changé ? Il reprit sa marche, posant finalement les yeux sur la chevelure de la jeune femme qui se trouvait devant lui. — C’est votre couleur naturelle ?

C’était peut-être une question stupide, comme beaucoup de celles qu’il posait. Il ne pouvait s’en empêcher. Il avait besoin de savoir. Trop de choses, depuis qu’il était devenu humain, venaient contrarier les convictions avec lesquelles il était venu à la vie. L’aspect théorique des choses, encyclopédiques, était troublé par le vécu qu’on le forçait à acquérir de jour en jour. N’était-il pas normal, à partir de là, d’avoir à l’esprit mille et une questions ?

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     Face à l’explication de la jeune femme, Baymax resta silencieux durant quelques secondes, essayant de comprendre ce qui pouvait être drôle dans une recherche. Lui trouvait juste cela profondément frustrant. Pour cette même raison, il préféra garder le silence et hausser les épaules. — Vous avez peut-être raison. Était-il à ce point différent des autres ? Était-ce lié à son précédent statut de machine ? Il aimait croire que, non, tout ne s’y résumait pas ; ce n’était pourtant pas la première fois qu’il réalisait à quel point sa perception des choses était différente de celle des autres.

— Le lire avant ? Elle ne l’avait pas lu ? Le regard de l’ancien robot s’éclaira un instant, avant qu’il n’entende les propos de la jeune femme qui, une fois de plus, lui arrachèrent un froncement de sourcil perplexe. — Pourquoi ? La folie, c’était bien plus qu’un mot, à ses yeux. C’était une maladie de l’esprit. — On a essayé de vous mettre dans un hôpital à cause de ça ? Cela expliquait peut-être les raisons pour lesquelles elle pensait que chercher un objet était un jeu. À première vue, elle ne semblait pourtant pas si folle. S’il avait pu la scanner, il en aurait eu le cœur net.

Perdu dans ses réflexions, il continua donc à marcher, quelques pas derrière la jeune fille aux cheveux roses, jusqu’à lui poser une question qui lui brûlait les lèvres depuis quelques instants déjà. — Ton monde d’origine ? Évidemment, ils étaient tous dans la même situation. Pourquoi se montrait-il aussi idiot ? — Les gens ont les cheveux roses, là-bas ? Peut-être cela se passait-il sur une autre planète ? Avec d’autres types d’humains ? Des robots ? Comme lui ? Son cœur s’emballa un peu à cette idée. Il ne devait pas s’emballer comme ça. C’était ridicule.  

Quand ils arrivèrent à la chambre, Toma s’arrêta dans l’entrée, par politesse, jetant un vague regard à la pièce avant de tourner la tête vers la jeune femme. Blodwyn, de ce qu’elle venait de dire. « B…Toma. » Son sourire s’étira doucement, alors qu’il posait les yeux sur le carnet qu’elle lui tendait. « C’est japonais. » Les yeux posés sur le carnet qu’elle tendait, il resta silencieux un instant, avant de relever les yeux vers elle. — Le monde d’où tu viens… Tu t’en rappelles ? Ses propres souvenirs, il en parlait rarement. Ils ne valaient pas grand-chose, à côté de tout ce qu’il vivait désormais. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’y penser.

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     Toma n’avait encore jamais rencontré de fou. Il parvenait à peine à se rappeler des personnes qu’il avait rencontrées lorsqu’il était encore une machine, alors il était inutile de chercher à savoir s’il se rappelait de chaque cas séparément, de tout ce qui les touchait. Ils étaient des visages. Des visages, des noms et des composants sans rapport évident ; sa mémoire l’effrayait parfois. « Ah, je comprends ça. » Peiner avec les habitudes humaines, c’était devenu son quotidien, depuis son arrivée au manoir. « J’ai aussi du mal avec ça. » Il faisait bien des efforts, mais c’était rarement suffisant pour pallier le problème totalement. Mais la folie ne se voyait pas, chose qu’il préféra garder à l’esprit, en dépit de l’explication de la jeune femme qu’il suivait dans l’espoir de retrouver son carnet.

Quand il l’aurait retrouvé, il aurait une entrée supplémentaire à rédiger. Sa rencontre avec cette fille, une extraterrestre, s’il comprenait bien. Il l’écouta avec attention, sans perdre une seconde de ce qu’elle expliquait. Les hommes se posaient tant de questions sur les mondes différents. Ils négligeaient la planète sur laquelle ils vivaient pour en explorer d’autres en espérant y trouver la vie. C’était profondément contradictoire. Heureusement, la comparaison à une bulle de chewing gum fit froncer les sourcils à l’infirmier qui, l’espace d’un instant, se demanda si une telle chose était vraiment possible. Évidemment, ça l’était, n’était-il pas lui-même… « Un robot. » Cela lui posait de nombreux problèmes, mais il faisait de gros efforts pour les surmonter, y compris au niveau relationnel. « On m’avait conçu pour soigner les humains. » Il réfléchit un instant, à la recherche d’une comparaison aussi efficace que celle qu’elle avait utilisée. Lui-même n’était pas certain de ce qu’il était auparavant, de ce à quoi il ressemblait. « Je suis totalement perdu, ici. » Respirer en soi semblait être miraculeux, pour un ancien robot comme lui, et il se fascinait pour ses propres battements de cœur. Lui aussi aurait certainement été pris pour un fou, s’il l’avait dit. Son journal était un bien meilleur confident que ceux qui l’entouraient.

Le carnet entre les mains et les présentations faites, Baymax ne put empêcher sa curiosité de refaire surface. La réponse de la jeune femme lui arracha un léger pincement de lèvres, suivi de peu par un geste négatif de la tête qu’il ne tarda à nuancer. « Pas totalement. » Glissant doucement la main sur la couverture du livre, il reprit la parole calmement, du ton calme qu’il employait souvent. « Comme je n’étais pas conscient, en tant que robot, je n’avais pas vraiment de mémoire pour les « souvenirs ». » Les machines n’avaient pas de sentiment non plus. Il ne pouvait pas s’approcher d’une cafetière et lui demander si elle avait passé une bonne journée. Ce n’était pas dans son programme. « Ca me rassure de savoir que je ne suis pas le seul à avoir du mal avec les humains, » avoua-t-il finalement, en un léger rire.

blodwyn & toma, perte de "mémoire" ☽     Les humains et leur monde demeuraient une énigme complète pour le robot qui était devenu l’un d’eux. Ils avaient des coutumes et des idées qu’il n’avait jamais effleurées qu’en surface, lorsque toutes les informations lui étaient accessibles via téléchargement. Désormais, pour trouver les réponses à ses questions, il était obligé de chercher plus longtemps, de lire énormément. Ses conversations n’étaient hélas pas aussi enrichissantes qu’une recherche internet. Cependant, Baymax ne pouvait nier la vérité : il trouvait dans ces interactions un intérêt particulier, quand bien même il n’était pas toujours évident de comprendre la façon dont les humains fonctionnaient, autrement qu’au niveau anatomique. Si seulement les sentiments avaient pu s’expliquer aussi simplement qu’un rhume ou une pneumonie ! Ils ne lui auraient alors pas donné autant de fil à retordre.

Trouver une personne qui, tout comme lui, n’avait pas été habituée à cette existence humaine, était un véritable réconfort. C’était une chance de discuter enfin de ce qui lui posait problème, tout en ayant une chance, même infime, d’être compris ? Ses dernières rencontres avec l’une des résidentes du manoir, Moana, lui posaient particulièrement problème. Elle était excessive, trop réactive, peut-être ? Ou alors était-il, sans en avoir conscience, lui-même engourdi ? Toma avait hélas conscience de sa difficulté à appréhender les émotions humaines et à leur donner un sens. Il interprétait mal, s’efforçait de ne pas créer de conflits plus grands encore, mais échouait lamentablement en certaines occasions. C’était un véritable casse-tête. Alors qu’ils arrivaient à la chambre, l’infirmier hocha la tête pour approuver les dires de la jeune femme.

Les différences qui existaient entre ses deux existences, Baymax ne les comptait plus. Elles étaient si nombreuses, si grandes ! Son regard posé sur la couverture de son carnet, il songea à toutes les choses qu’il avait déjà couchées sur le papier en espérant y trouver une réponse. « M’aider ?  » répondit-il avant que Blodwyn n’ait le temps de continuer. La suite de son discours lui fit légèrement tomber la mâchoire et écarquiller les yeux. « Tu penses que c’est possible ?   » Se rappeler de sa vie d’avant, il avait déjà essayé à de nombreuses reprises, en vain. Sa mémoire était une cassette que l’on aurait rembobinée afin de procéder à un nouvel enregistrement. Il doutait que l’on parvienne à en tirer quelque chose. « C’est gentil, en tout cas.  » reprit-il, le ton chaud de gratitude, alors qu’il glissait sa paume sur la couverture du carnet qui, entre ses mains, paraissait plus petit qu’il ne l’était. Après quelques secondes, il reprit la parole, pensant qu’elle avait peut-être la réponse à la question qu’il se posait avant de se mettre en quête de son carnet. « Tu connais l’expression envoyer sur les roses ? Je l’ai entendue tout à l’heure, mais je ne sais pas ce qu’elle veut dire. »